Une petite analyse d’un album jeunesse
Perrine Dorin, Salut !, Éditions du Rouergue, 2008, 14 p., 11 €
(Vous êtes curieux, n’hésitez pas à aller faire un tour sur le site de l’auteur et celui de la maison d’édition)
Synopsis
Sur un fil électrique, se posent, un par un, des moineaux. « Salut ! » se disent-ils chacun leur tour. La vie sur le fil est alors paisible et conviviale, mais le rituel de salutation des volatiles ne peut se poursuivre aussi innocemment. En effet, la clique des mâles est perturbée lorsqu’arrive le dernier moineau, qui n’est autre qu’une femelle.
L’audace des mâles, forts de leur assurance et convaincus de leur charme, sera mise à mal par la coquette (ci-après nommée « Moinette »).
Un boulier pour apprendre à compter jusqu’à dix, en passant par zéro !
Figure 1 - Deux moineaux se saluent
Analyse des images
Les illustrations sont faites de collages et de crayon.
Il y a très peu de couleurs dans « Salut ! ». L’arrière-plan est bleu-ciel et représente donc le ciel. Au début, les moineaux sont tous violets. Lorsqu’un rose apparaît, le choix des couleurs révèle alors une connotation iconique inévitable qui nous permet de déduire les genres de chacun : les violets sont les mâles, le rose la femelle. Notons également les becs jaunes, les yeux blancs et les pupilles, les pattes et le fil noirs. Ces couleurs pastelles appellent l’ambiance calme d’une douce matinée de printemps sous un ciel sans nuage. Sur un plan éducatif, le choix de ces quelques teintes peut s’expliquer par la volonté de ne pas éparpiller l’enfant dans un surplus de couleurs criardes, car ce dernier doit se concentrer dans son apprentissage des chiffres de 1 à 10.
Les moineaux ont des formes d’œufs (allusion au stade précédent leur naissance) qui, selon le découpage du papier, donne à tel ou tel protagoniste une physionomie particulière. Par exemple, le troisième moineau est légèrement enveloppé alors que le quatrième aurait plutôt des allures de grand dadais. Les volatiles ont de grands yeux globuleux et un bec jaune. Ils ont également, dessinés au crayon de couleur, une crête, des ailes, une queue ainsi que de très petites pattes. La moinette est différente des moineaux : elle est rose et a sa crête coiffée d’un nœud rouge aux fleurs blanches. Ses yeux sont clos lors de sa première apparition, lorsque les mâles lui font la cour. Cette moinette a, ma foi, des allures de femme fatale : les yeux se détournent sur elle sur son passage, elle est belle, coquette, précieuse, intouchable, et, surtout, elle est la seule présence féminine dans tout le livre (et par extension dans tout le ciel environnant).
Figure 2 - Arrivée de la moinette
Analyse du texte
On remarque deux types de texte dans le livre. D’une part une écriture tapuscrite est utilisée pour retranscrire les chiffres : en toutes lettres sur la page de gauche et en chiffres arabes sur celle de droite. D’autre part une écriture manuscrite, ajoutée à des queues de bulle à la manière de la bande dessinée, a été choisie pour les paroles des moineaux.
L’histoire de « Salut ! » se déroule selon une narration assez prévisible, provoquée par le décompte du boulier et l’arrivée d’un nouveau moineau à chaque nouvelle page, jusqu’à ce qu’arrive l’élément perturbateur, incarné ici par l’arrivée de la moinette. C’est à ce moment que l’intrigue prend corps ; on peut d’ailleurs dire qu’elle se joue réellement dans les quatre dernières pages de l’album. Le changement de discours des moineaux rompe la monotonie du décompte : la stagnation au chiffre dix permet d’entrer pour de bon dans une intrigue. Le livre se termine par une chute, dans les deux sens du terme, qui conclut à la fois l’histoire mais également le décompte du boulier en le ramenant à zéro.
Ajouté au graphisme plaisant des piafs, les clichés des discours masculins de séduction (il s’agirait ici davantage de drague) et leur application à l’univers des oiseaux est assez comique. De plus, les caricatures de la belle jeune femme d’un côté et des gentlemen séducteurs et autre Casanova de l’autre, offrent une dimension humoristique qui s’adresse principalement à l’adulte plutôt qu’à l’enfant. En effet, ce dernier rit certainement davantage lorsque la moinette se débarrasse des importuns que du discours de ces derniers.
Le lien texte-image
La ligne à haute tension, placée environ aux deux cinquièmes de la page, fait office de fil rouge pendant la lecture du livre. Elle sépare la page en deux parties. La plus grande, située en haut, laisse de la place pour l’arrivée des oiseaux et contient leurs dialogues (image et texte manuscrit). La plus petite, en bas, comporte uniquement le boulier (texte tapuscrit).
Le lien entre le texte tapuscrit et l’image réside dans la concordance du nombre de moineaux dessinés et du nombre de « Salut ! » avec la progression du décompte du boulier. L’activité pédagogique et ludique avec l’enfant consisterait à compter les moineaux et/ou les « Salut ! », et vérifier si le nombre trouvé concorde avec celui qui est inscrit en bas de page.
Figure 3 - Six : six moineaux et six saluts
Ce livre est donc un album éducatif, de par sa qualité de boulier, ainsi qu’un album pour le plaisir, de par l’historiette qui y est racontée et l’humour qu’elle contient. Cette dernière caractéristique implique que « Salut ! » ne se limite pas un public enfantin mais s’adresse également à un public plus âgé.