Posts Tagged ‘Rentrée littéraire

25
Sep
14

Constellation

noté 3 sur 4

Le 28 octobre 1949, l’avion Constellation d’Air France s’écrase dans l’archipel des Açores. Aucun des passagers ne survit. Parmi eux, on trouve le boxeur Marcel Cerdan mais aussi des anonymes. L’auteur retrace l’histoire de ces passagers victimes du destin et alterne avec le récit du crash et de ses suites. Il s’attarde sur ces ruses du destin qui font que, pressé par Édith Piaf de le rejoindre au plus vite, Marcel Cerdan a piqué leur place à des passagers qui finalement n’auront pas regretté de ne pas avoir pris ce funeste vol.©Stock..

Pour son premier roman, Adrien Bosc réussit parfaitement l’exercice de redonner vie aux victimes tout en nous captivant avec l’enquête qui a suivi l’accident. Les équipes envoyées sur place après le crash ont tenté de comprendre comment l’avion avait pu à ce point dévier de sa trajectoire pour aller se cogner à une montagne, sur une île où il n’avait rien à faire. Ce roman très émouvant et très joliment écrit a beaucoup touché Federico. On découvre un épisode méconnu de l’histoire de l’aviation ainsi que le destin fascinant de la violoniste Ginette Neveu. Les plus jolis passages sont ceux consacrés à l’étonnant parcours du violon de la musicienne. Disparu lors de l’accident, des débris en seront récupérés bien plus tard et après être passés entre plusieurs mains ils seront finalement identifiés par le luthier de Ginette Neveu. Au détour d’une réflexion sur l’art et le destin, l’auteur s’égare parfois dans des digressions lyriques un peu obscures mais cela n’entache pas le plaisir de lecture.

Adrien Bosc, Constellation, Stock, août 2014, 198 pages

10
Sep
14

À l’orée de la nuit

Un roman de Charles Frazier

noté 3 sur 4

Si Federico avait lu ce livre sans en connaître l’éditeur, il l’aurait aveuglément classé chez Gallmeister, l’éditeur spécialisé dans les romans américains âpres et sauvages. En effet, À l’orée de la nuit flotte, difficilement classable, entre le nature writing, le thriller et le western.

©GrassetFinalement, c’est Grasset qui nous offre cette histoire au rythme lent, aux personnages crépusculaires et aux montagnes imposantes (les Appalaches, ça prend de la place dans un paysage, oui madame). Si le récit tourne autour de plusieurs personnages en leur confiant la narration à tour de rôle, c’est Luce qui, aux yeux de notre ami lapin est l’héroïne de ce roman. Cette jeune femme a choisi de quitter la compagnie des hommes pour vivre au rythme des saisons dans une maison dont elle est la gardienne. Le jour où sa sœur est assassinée par son compagnon, Bud, elle se retrouve chargée de ses neveux, des jumeaux mutiques et pyromanes. Ce petit changement de programme va évidemment bouleverser son quotidien bien réglé. Elle va devoir essayer d’entrer en contact avec ces enfants traumatisés tout en les empêchant de faire de très grosses bêtises (comme mettre le feu à la maison ou se noyer dans le lac). Les choses vont se compliquer encore plus quand Bud, innocenté du meurtre de sa femme, va se mettre en tête de récupérer son argent, persuadé que ce sont les jumeaux qui le planquent.

Ce roman n’est pas hyper captivant, les personnages ne sont pas hyper attachants et la confrontation entre tout ce monde ne crée pas un hyper-suspense (si, ça se dit). Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser en lisant la phrase précédente, À l’orée de la nuit a plutôt plu à Federico. Il a beaucoup aimé cette sensation étrange que l’histoire n’est pas là pour séduire un lecteur mais plutôt pour s’imposer à lui. On se laisse mener par le rythme lent et on subit le caractère difficile des héros. Même s’il ne se sentait pas passionné par l’histoire, notre ami lapin avait toujours du plaisir à reprendre sa lecture et à entrer à nouveau dans son ambiance sombre. En plus de cette étrange sensation, il restera marqué par l’empreinte de la philosophie de vie de Luce et sa réflexion autour du sens de l’existence.

Charles Frazier, À l’orée de la nuit, Grasset, septembre 2014, 384 p.

19
Août
14

Parle-moi du sous-sol

Un roman de Clothilde Coquet

noté 3 sur 4

Attention : roman pessimiste ! L’auteur raconte avec une grande acuité – cela sent le vécu, sinon l’enquête approfondie – le parcours d’une jeune diplômée en histoire de l’art qui travaille comme caissière dans un grand magasin parisien, faute d’un emploi dans sa branche. Avec ce récit qui suit les pensées de l’héroïne, on découvre l’amertume de cette génération sur-diplômée qui est contrainte d’aller quémander les miettes sur un marché du travail en berne.©fayard

Si ce roman n’est pas très lumineux, il a le mérite d’être extrêmement lucide et de nous épargner une fin rose bonbon qui n’aurait pas été crédible. L’auteur décrit très bien les déboires de ces jeunes persuadés d’être destinés à rejoindre l’élite de la société et qui se retrouvent livrés au regard condescendant et navré de leurs employeurs, leurs clients et pire encore, de leurs proches. Federico a été très touché par les errements de la narratrice qui se retrouve coincée dans une impasse.

L’écriture est très rythmée, très vive, parfois même un peu trop : on se perd parfois dans les pensées de la narratrice mais cela traduit d’autant mieux son malaise et nous implique réellement dans son histoire. Celle-ci, même si elle est racontée à la première personne est assez universelle et se fait l’écho de toute une génération.

Ce premier roman est une réussite aux yeux de notre ami lapin.

Clothilde Coquet, Parle-moi du sous-sol, Fayard, août 2014, 216 p.

27
Fév
14

L’échange des princesses

Un roman de Chantal Thomas.

noté 3 sur 4

Vite vite, avant qu’il n’oublie, Federico doit vous parler de ce bouquin vraiment sympa !

Notre ami lapin aime l’Histoire. Parfois, il se perd sur Wikipédia à lire la vie du duc de Machin et de la comtesse Truc. Mais quoi de mieux que la vraie vie des princes et princesses sous la plume de Chantal Thomas ?

© Le Seuil, 2013Un jour, dans son bain trimestriel, Philippe d’Orléans, neveu de Louis XIV et Régent de France, a une chouette idée : pourquoi pas marier le jeune Louis XV avec l’infante d’Espagne, Marie Anne Victoire ? Et pourquoi pas en profiter aussi pour marier sa propre fille, Louise Élisabeth, avec l’héritier du trône d’Espagne ? Ça peut servir, et les tensions avec le Roi d’Espagne se calmeront un peu. Cette lumineuse idée donne lieu à un échange de princesses à la frontière franco-espagnole en 1721. Mais le plan du régent fera flop au bout de quelques années. D’un côté, malgré le charme des 4 ans de Marie Anne Victoire, Louis XV est trop vieux (11 ans) et la boude royalement (il peut, c’est le Roi !). De l’autre côté, Louise Élisabeth, 12 ans, reçoit un accueil glacial à Madrid où elle débarque malade comme un chien après son très long voyage en carrosse (contrairement à ce que les contes de fées veulent nous faire croire, voyager en carrosse n’est pas une promenade de santé).

Chantal Thomas ne nous fait pas du roman historique grandiloquent, elle nous plonge dans le quotidien à la fois morne et dangereux des princesses, ces toutes jeunes filles qui doivent plaire au peuple, à la cour et au Roi, dans le seul but d’enfanter un rejeton destiné à porter une couronne. Où est le vrai, où est le romancé ? On n’en sait trop rien, mais on croit à tout ce que nous raconte l’auteure. Très très bien écrit, le roman est enrichi des extraits de correspondances des princesses, des têtes couronnées, des gouvernantes, du Régent, tout en gardant un style linéaire, comme si la narration s’était adaptée au style de l’époque.

C’était quand même fou la vie de ces enfants qu’on mariait à tout bout de champ mais qui devaient somme toute s’ennuyer à mourir dans leurs palais ! Le passe-temps des princes ? La chasse. Celui des princesses ? Être agréable. La pauvre Louise Élisabeth avait décidé de ne pas être agréable, mal lui en pris. Quant à Marie Anne Victoire, elle avait tout pour plaire, sauf dix années supplémentaires….

Donc voilà, c’était le fun. Peut-être pas pour les princesses, mais au moins pour Federico !

L’échange des princesses, Chantal Thomas, Le Seuil, 2013, 348 pages

13
Sep
13

À la guerre comme à la guerre

La guerre c’est pas bien mais on peut en faire d’excellent romans. La preuve par l’exemple.

Le corps humain

noté 3 sur 4

Un roman de Paolo Giordano (traduit de l’italien par Nathalie Bauer)

En voilà un titre bien choisi ! Ici, le corps, c’est la chair, bien sûr, mais c’est aussi le groupe, ces soldats qui ne forment qu’un, alors qu’ils sont si différents. Sans se lancer dans une étude étymologique, Federico peut au moins vous affirmer que Paolo Giordano a subtilement tissé le fil de son roman autour des multiples sens de ce mot.©Seuil

Il nous raconte le parcours d’une poignée de soldats italiens envoyés en Afghanistan pour y contempler le désert et rompre la monotonie en explosant sous des bombes artisanales. Faut bien s’occuper.

Trêve de cynisme, puisque le roman n’en contient aucun. Au contraire, il ne prend pas de distance avec les événements, et cette plongée dans l’intimité de ces hommes et de ces femmes a parfois mis notre ami lapin mal à l’aise. Confrontés à l’ennui dans cette guerre qui les prive des héroïques combats qu’ils attendent, les soldats révèlent des failles dont on aimerait ne pas être témoin. Chacun se dit prêt pour la mort, mais quand elle arrive, horrible et sale, les corps et les esprits craquent. Puis, quand vient le moment de rentrer à la maison, les soldats se retrouvent perdus parmi leurs proches qui ne les comprennent pas. Par son écriture très proche de l’humain, l’auteur fait ressentir ce mal être et la force des liens qui unissent ces anti-héros. Il signe un roman très poignant, qui a marqué notre ami lapin autant par ses qualités que par le malaise qu’il a fait naître chez lui.

Paolo Giordano, Le corps humain, Le Seuil, août 2013, 415 p.

Au revoir là-haut

noté 4 sur 4

Un roman de Pierre Lemaître

Attention, chef d’œuvre !

Sur fond d’après Première Guerre mondiale, Pierre Lemaître nous offre un roman magistralement amoral, à des lieues du politiquement correct qu’évoque la célébration des héros de la drôle de guerre. Le livre s’ouvre sur une des dernières batailles avant l’armistice et les scènes d’horreur qui en découlent ont tout simplement retourné Federico sur son fauteuil (au sens figuré, évidemment, les lapins ne lisent pas à l’envers). Ce dernier combat va sceller le destin des trois personnages centraux : Henri, Albert et Édouard. Le premier est une parfaite ordure, un saligot de premier ordre que Federico a adoré détester. ©albin-michelCe noble désargenté compte sur ces derniers instants de guerre pour asseoir son prestige, et tant pis si cela se fait au prix de vies humaines. Le pire c’est qu’il va y arriver et revenir de la guerre auréolé de gloire. Pour lui, ce n’est que le début de l’ascension vers la fortune. Encore une fois, tous les moyens sont bons pour y parvenir, y compris se faire de l’argent sur l’enterrement des milliers de soldats morts au combat. Vilain.

Pour Albert et Edouard, la chanson n’est pas la même. Albert est passé à deux doigts d’une mort affreuse et a été sauvé in extremis par Édouard. Face à cet acte de générosité, les cieux se sont ouverts pour récompenser le héros… avec un bel éclat d’obus. Édouard se retrouve donc avec la moitié du visage en moins, ce qui, en plus d’être très moche, fait un peu mal. Albert devient malgré lui son garde malade et c’est ensemble qu’il vont revenir à la vie civile. Ils vont faire l’amère découverte qu’en 1919, il vaut mieux être mort courageusement au combat que vivant et traumatisé. La France veut oublier la guerre, ne retenir que la victoire, et la piétaille qui revient épuisée et crottée ne colle pas dans le décor des célébrations. Qu’à cela ne tienne, les deux compagnons d’infortune vont prendre leur revanche sur cette grande mascarade en organisant une audacieuse arnaque.

En plus de ce trio aux petits oignons, l’auteur nous régale de personnages secondaires absolument délectables. Il orchestre son truculent récit avec un grand talent, mêlant le suspens, l’ironie et l’absurde. Federico a exulté en lisant cette farce cruelle où tout sonne juste.

Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, Albin Michel, août 2013, 566 p.

25
Août
13

La femme à 1000°

Un roman de Hallgrímur Helgason

noté 4 sur 4

Herbjörg Maria Björnson (que nous appellerons par son surnom, Herra, c’est plus simple) est loin d’être une douce grand-mère. Atteinte d’un cancer en phase terminale, la vieille femme vit dans un garage aménagé. Armée de son ordinateur portable, d’une cartouche de cigarettes et d’une vieille grenade allemande, elle attend la mort de pied ferme. Pour faire passer le temps, elle déroule les fils emmêlés de son existence et en profite pour donner son avis sur tout. Autant vous dire que c’est un sacré merdier. Son arbre généalogique va de la robuste grand-mère islandaise au grand-père premier président du pays, marié avec une danoise, en passant par son père, seul islandais engagé dans l’armée nazie. Herra est un mélange de toutes ces complications et sa vie ne va pas venir simplifier les choses. Elle va grandir dans les fjords, puis traverser l’Europe à feu et à sang, puis continuer à parcourir de le monde. Tout ça pour atterrir dans un garage, seule. On dit de certains personnages qu’ils ont été bousculés par la vie, Herra s’est fait tabasser. Mais ell©Presses de la Citée a survécu, y compris à un cancer qui devait la tuer en quelques mois et qu’elle trimballe depuis plusieurs années. Elle jette sur son parcours, sur le monde d’hier et d’aujourd’hui un regard dur que son humour insubmersible transforme en une ironie salvatrice. Au seuil de la mort, elle garde son indépendance d’esprit et son mordant.

Federico se demande encore ce qui a bien pu se passer dans l’esprit de l’auteur pour pondre un texte pareil. Ce roman est tellement complet et détaillé, que notre ami lapin peine à croire qu’il s’agisse d’une simple fiction. Hallgrímur Helgason donne littéralement naissance à Herra : elle s’incarne sous nos yeux et ce qu’elle a vu et vécu est d’un réalisme à couper le souffle. Le tout est raconté avec une extrême pudeur, notamment dans les moments les plus difficiles, où le texte atteint l’état de grâce entre poésie et humour. Le travail d’orfèvre du traducteur est à saluer. Au gré des souvenirs d’Herra, des sensations qu’elle a conservées, le récit passe de la légèreté à la noirceur avec une aisance déconcertante. Dans une rentrée littéraire qui semble faire la part belle aux sujets durs qui ne vont pas épargner les sentiments des lecteurs, La femme à 1000° a donné une grosse claque à Federico.

Cela fait deux jours qu’il a achevé la lecture de ce pavé et Herra ne l’a toujours pas quitté, accompagnée par l’histoire de l’Islande et de l’Europe, peu empreintes de gloire.

Si on devait relever un défaut à ce livre (et ce serait bien le seul) c’est d’être Islandais. En effet, Federico a perpétuellement été perdu dans tous les noms propres très exotiques qui ponctuent le texte. Notre ami lapin voit maintenant des trémas partout !

Hallgrímur Helgason, La femme à 1000°, Presses de la Cité, août 2013, 633 p.




pause carotte
Pause carotte