La guerre c’est pas bien mais on peut en faire d’excellent romans. La preuve par l’exemple.
Le corps humain
Un roman de Paolo Giordano (traduit de l’italien par Nathalie Bauer)
En voilà un titre bien choisi ! Ici, le corps, c’est la chair, bien sûr, mais c’est aussi le groupe, ces soldats qui ne forment qu’un, alors qu’ils sont si différents. Sans se lancer dans une étude étymologique, Federico peut au moins vous affirmer que Paolo Giordano a subtilement tissé le fil de son roman autour des multiples sens de ce mot.
Il nous raconte le parcours d’une poignée de soldats italiens envoyés en Afghanistan pour y contempler le désert et rompre la monotonie en explosant sous des bombes artisanales. Faut bien s’occuper.
Trêve de cynisme, puisque le roman n’en contient aucun. Au contraire, il ne prend pas de distance avec les événements, et cette plongée dans l’intimité de ces hommes et de ces femmes a parfois mis notre ami lapin mal à l’aise. Confrontés à l’ennui dans cette guerre qui les prive des héroïques combats qu’ils attendent, les soldats révèlent des failles dont on aimerait ne pas être témoin. Chacun se dit prêt pour la mort, mais quand elle arrive, horrible et sale, les corps et les esprits craquent. Puis, quand vient le moment de rentrer à la maison, les soldats se retrouvent perdus parmi leurs proches qui ne les comprennent pas. Par son écriture très proche de l’humain, l’auteur fait ressentir ce mal être et la force des liens qui unissent ces anti-héros. Il signe un roman très poignant, qui a marqué notre ami lapin autant par ses qualités que par le malaise qu’il a fait naître chez lui.
Paolo Giordano, Le corps humain, Le Seuil, août 2013, 415 p.
Au revoir là-haut
Un roman de Pierre Lemaître
Attention, chef d’œuvre !
Sur fond d’après Première Guerre mondiale, Pierre Lemaître nous offre un roman magistralement amoral, à des lieues du politiquement correct qu’évoque la célébration des héros de la drôle de guerre. Le livre s’ouvre sur une des dernières batailles avant l’armistice et les scènes d’horreur qui en découlent ont tout simplement retourné Federico sur son fauteuil (au sens figuré, évidemment, les lapins ne lisent pas à l’envers). Ce dernier combat va sceller le destin des trois personnages centraux : Henri, Albert et Édouard. Le premier est une parfaite ordure, un saligot de premier ordre que Federico a adoré détester. Ce noble désargenté compte sur ces derniers instants de guerre pour asseoir son prestige, et tant pis si cela se fait au prix de vies humaines. Le pire c’est qu’il va y arriver et revenir de la guerre auréolé de gloire. Pour lui, ce n’est que le début de l’ascension vers la fortune. Encore une fois, tous les moyens sont bons pour y parvenir, y compris se faire de l’argent sur l’enterrement des milliers de soldats morts au combat. Vilain.
Pour Albert et Edouard, la chanson n’est pas la même. Albert est passé à deux doigts d’une mort affreuse et a été sauvé in extremis par Édouard. Face à cet acte de générosité, les cieux se sont ouverts pour récompenser le héros… avec un bel éclat d’obus. Édouard se retrouve donc avec la moitié du visage en moins, ce qui, en plus d’être très moche, fait un peu mal. Albert devient malgré lui son garde malade et c’est ensemble qu’il vont revenir à la vie civile. Ils vont faire l’amère découverte qu’en 1919, il vaut mieux être mort courageusement au combat que vivant et traumatisé. La France veut oublier la guerre, ne retenir que la victoire, et la piétaille qui revient épuisée et crottée ne colle pas dans le décor des célébrations. Qu’à cela ne tienne, les deux compagnons d’infortune vont prendre leur revanche sur cette grande mascarade en organisant une audacieuse arnaque.
En plus de ce trio aux petits oignons, l’auteur nous régale de personnages secondaires absolument délectables. Il orchestre son truculent récit avec un grand talent, mêlant le suspens, l’ironie et l’absurde. Federico a exulté en lisant cette farce cruelle où tout sonne juste.
Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, Albin Michel, août 2013, 566 p.