Un roman de Hallgrímur Helgason
Herbjörg Maria Björnson (que nous appellerons par son surnom, Herra, c’est plus simple) est loin d’être une douce grand-mère. Atteinte d’un cancer en phase terminale, la vieille femme vit dans un garage aménagé. Armée de son ordinateur portable, d’une cartouche de cigarettes et d’une vieille grenade allemande, elle attend la mort de pied ferme. Pour faire passer le temps, elle déroule les fils emmêlés de son existence et en profite pour donner son avis sur tout. Autant vous dire que c’est un sacré merdier. Son arbre généalogique va de la robuste grand-mère islandaise au grand-père premier président du pays, marié avec une danoise, en passant par son père, seul islandais engagé dans l’armée nazie. Herra est un mélange de toutes ces complications et sa vie ne va pas venir simplifier les choses. Elle va grandir dans les fjords, puis traverser l’Europe à feu et à sang, puis continuer à parcourir de le monde. Tout ça pour atterrir dans un garage, seule. On dit de certains personnages qu’ils ont été bousculés par la vie, Herra s’est fait tabasser. Mais elle a survécu, y compris à un cancer qui devait la tuer en quelques mois et qu’elle trimballe depuis plusieurs années. Elle jette sur son parcours, sur le monde d’hier et d’aujourd’hui un regard dur que son humour insubmersible transforme en une ironie salvatrice. Au seuil de la mort, elle garde son indépendance d’esprit et son mordant.
Federico se demande encore ce qui a bien pu se passer dans l’esprit de l’auteur pour pondre un texte pareil. Ce roman est tellement complet et détaillé, que notre ami lapin peine à croire qu’il s’agisse d’une simple fiction. Hallgrímur Helgason donne littéralement naissance à Herra : elle s’incarne sous nos yeux et ce qu’elle a vu et vécu est d’un réalisme à couper le souffle. Le tout est raconté avec une extrême pudeur, notamment dans les moments les plus difficiles, où le texte atteint l’état de grâce entre poésie et humour. Le travail d’orfèvre du traducteur est à saluer. Au gré des souvenirs d’Herra, des sensations qu’elle a conservées, le récit passe de la légèreté à la noirceur avec une aisance déconcertante. Dans une rentrée littéraire qui semble faire la part belle aux sujets durs qui ne vont pas épargner les sentiments des lecteurs, La femme à 1000° a donné une grosse claque à Federico.
Cela fait deux jours qu’il a achevé la lecture de ce pavé et Herra ne l’a toujours pas quitté, accompagnée par l’histoire de l’Islande et de l’Europe, peu empreintes de gloire.
Si on devait relever un défaut à ce livre (et ce serait bien le seul) c’est d’être Islandais. En effet, Federico a perpétuellement été perdu dans tous les noms propres très exotiques qui ponctuent le texte. Notre ami lapin voit maintenant des trémas partout !
Hallgrímur Helgason, La femme à 1000°, Presses de la Cité, août 2013, 633 p.