Un document de Jean-Baptiste Malet
Comme nous sommes en plein cœur de l’été, Federico a choisi de vous parler de Noël. Oui, parfaitement.
Et plus précisément, Noël au pays merveilleux d’Amazon, le gentil site internet qui vous livre vous chouettes articles en 48 heures seulement. C’est bien joli tout ça, mais d’un point de vue technico-pratico-logistique, comment tout cela s’orchestre-t-il derrière l’écran de votre ordinateur, une fois que vous avez validé votre commande ?
Afin de répondre à cette insoutenable interrogation, Jean-Baptiste Malet s’est transformé en intérimaire et a rejoint la marée de travailleurs précaires qui sont embauchés à la semaine pendant les pics d’activités de la fin d’année. Pour avoir des information, pas d’autre choix en effet que l’infiltration discrète : la firme n’aime pas qu’on publie sur elle des choses qu’elle n’a pas elle même rédigées. Quant aux employés, ils ont interdiction de s’exprimer sur leur entreprise.
De cette expérience étonnante, il a tiré un livre et Amazon en prend pour son grade.
Signalons avant tout que l’entrepôt logistique dans lequel le journaliste s’est infiltré a été ouvert en France à grand renfort d’aides gouvernementales et qu’un certain ministre en marinière s’est félicité de l’arrivée d’un tel vivier d’emploi. On voit bien que ce n’est pas lui qui va y bosser…
Au terme d’une formation où on l’a conditionné à un esprit d’équipe soviétique, Jean-Baptiste Malet a été assigné aux équipes de pickeurs : ce sont eux qui vont chercher les articles dans les immenses travées, dans les immenses allées de l’immense entrepôt. On apprend à l’occasion que le classement des marchandises dans les entrepôts est tel qu’il a trouvé une pléiade de Voltaire à côté d’un lot de slips en coton ! Le contenu n’est absolument pas pris en compte, pas du tout considéré. Amazon, ce sont plusieurs milliers de mètres carrés de néant culturel.
Le plus édifiant dans ce livre est la description des conditions de travail. L’état d’épuisement dans lequel les employés finissent leurs journées est digne du XIXe siècle. Lessivés, ils peinent à mener une vie en dehors de l’entreprise, qui s’applique à les isoler de l’extérieur grâce à des activités extra-professionnelles. Au travail, ils subissent une pression monstre, à coup de chiffres et d’objectifs inatteignables, ils sont constamment sous la surveillance de supérieurs eux mêmes soumis à des exigences absurdes. Leur productivité est calculée en permanence grâce au petit scanner électronique qu’ils utilisent pour identifier les articles et savoir dans quel travée se trouve leur prochaine cible (une perceuse ? le dernier Paul Auster ? des couches pour bébé ?). Amazon semble s’évertuer à associer des techniques de management à la pointe de la modernité pour faire régresser les conditions de travail.
Le style de Jean-Baptiste Malet ne transcende rien et on est pas en présence du prochain Pullitzer mais l’auteur allie intelligemment son expérience de terrain à une documentation solide et chiffrée. Par ailleurs, Federico était sur le pompon d’un bout à l’autre de sa lecture, dégoûté par autant de cynisme, qu’il en a largement oublié ses exigences littéraires. L’univers numérique a subitement pris corps et est venu lui mettre un pain dans le museau.
Les libraires et autres détaillants victimes de la concurrence du commerce en ligne devraient glisser ce livre dans le panier de tous ces clients qui disent, avec un air très satisfait : « Vous ne l’avez pas ? Eh ben, je vais le commander sur Amazon ! Comme ça je l’aurai en 2 jours ! » Oui, mais à quel prix ?
Jean-Baptiste Malet, En Amazonie, Infiltré dans le meilleur des mondes, Fayard, mai 2013, 168 p, 15 €.