Un roman de Julia Strachey , traduit par Anouk Neuhoff
C’est Virginia Woolf qui a publié la première ce roman, qu’elle présentait comme « un très joli texte, intelligent, acide, franchement assez remarquable ». Eh bien sachez madame Woolf que notre ami lapin n’est pas du tout d’accord avec vous. Pan. Il est vrai que cette peinture d’une journée de mariage dans la haute bourgeoisie anglaise ne manque pas d’acidité, mais Federico s’attendait à tellement plus de mordant qu’il a senti dès les premières pages que le courant ne passerait pas entre lui et Julia Strachey. L’intérêt de Virginia Woolf pour ce livre n’est pas surprenant car on y retrouve l’ambiance toute en retenue de Mrs Dalloway. Dolly s’apprête à épouser Owen et pendant qu’elle biberonne du rhum dans sa chambre, sa mère use les nerfs de tout le monde au rez de chaussée, éminemment contrariée par la présence de Joseph, ancien amour de sa fille. Ancien ? C’est la question qui accompagne le lecteur au cours de cette journée en forme de vaudeville tragico-flegmatique. On guette le drame…
Au yeux de Federico, la faiblesse du roman réside dans l’écriture, à cause de l’usage abusif de descriptions imagées assez incongrues qui font trébucher le lecteur et l’empêchent d’entrer dans une histoire pourtant bien menée. En quelques conversations et situations simples, l’auteur habille ses personnages pour l’hiver et semble s’en prendre à l’hypocrisie qui règne autour de l’institution du mariage (de raison ?) et des sentiments amoureux (tout sauf passionnés). Point d’effusions dans ce roman, gardons notre sang froid ! Mais on ressent très bien les douleurs des cœurs dans les non dits et les piques qui font mouche.
C’est finalement grâce à l’adaptation cinématographique de 2012 que Federico a porté un nouveau regard sur l’ouvrage de Julia Strachey et ce, pour le meilleur. Chaque personnage est incarné avec beaucoup de talent par des acteurs très charismatiques qui sentent bon le sable chaud, Elizabeth McGovern et Luke Treadaway en tête. Ce n’est pas compliqué : on s’y croirait. À partir du roman, les auteurs du film ont tiré quelques bons fils afin d’étoffer l’histoire sans en trahir l’essence. Ainsi, on passe régulièrement de la journée froide du mariage aux chaudes journées d’été qui abritent les souvenirs des héros, beaucoup moins développés dans le livre. Il en résulte un film plein d’une délicatesse qui ne demande qu’à éclater en morceaux.
Le film a donc permis à notre ami lapin de saisir tout le potentiel de cette histoire mordante, qui lui avait paru bien fade sur le papier. C’est suffisamment rare pour mériter d’être signalé.
Julia Strachey, Drôle de temps pour un mariage, Le Livre de Poche, avril 2013, 126 p.