Federico a eu une fin d’année 2013 très riche en belles découvertes littéraires. Malheureusement, notre ami lapin a un peu trainé de la patte pour les chroniquer. Il est aujourd’hui bien décidé à réparer cette erreur, mais ces lectures datant un peu, il opte pour cette formule que vous connaissez bien : le marathon critique !
Après la salve de zéros carottes pour des bandes dessinées toutes nulles, voici une botte de trois, voire quatre carottes pour des romans, tous genres confondus, qui valent le détour !
Les chroniques de Wildwood
Prue vit à Portland avec ses parents et son petit frère Mac. Tout va très bien jusqu’au jour où Mac est inexplicablement enlevé par un groupe de corneilles ! Ces dernières l’emmènent vers le territoire interdit, une partie de la ville recouverte d’une forêt où nul n’ose s’aventurer, de crainte de ne jamais en revenir. Se sentant terriblement coupable de cet enlèvement, Prue cache la vérité à ses parents et décide de braver le danger : elle part à la recherche de son frère, accompagnée par un camarade d’école, Curtis.
Ce roman est très rafraichissant, surtout pour un lapin qui a un peu perdu l’habitude de lire des romans jeunesse. L’imagination débordante de Colin Meloy a donné naissance à un univers plein d’aventures et de créatures étonnantes. L’auteur sait suivre les codes du roman d’apprentissage tout en s’éloignant des schémas vus et revus. Son histoire regorge de bonnes surprises. Les deux héros sont très crédibles, absolument normaux face aux dangers et aux responsabilités qu’ils doivent affronter. Les illustrations naïves de Carson Ellis complètent très bien le récit et renforcent le côté « bel objet » du livre. Federico a trouvé certains passages un peu simplistes, mais l’histoire est prenante et il a passé un excellent moment. Notre ami lapin lira très probablement la suite un jour (il disait la même chose avec Sublutetia, qui en compte déjà deux et qui n’ont toujours pas rejoint ses étagères !)
La terre fredonne en si bémol
Voici un très joli roman qui a entraîné Federico sur les terres galloises dans les années 1950. L’héroïne, Gwenni, est une fille de 12 ans qui parvient à concilier une imagination débordante et une famille tristement terre à terre. Quand un homme disparaît, tout le petit village est en émoi et chacun y va de son commérage. Malgré les barrières qui se dressent devant elle – parmi elles, la folie grandissante de sa mère – Gwenni décide de mener l’enquête à sa façon, ce qui va l’amener à sonder les secrets de chacun.
Aussi rafraichissant qu’une promenade dans les vertes contrées galloises, ce roman est un petit bijou de simplicité narrative et de fantaisie, tout en étant emprunt d’une certaine complexité cachée dans les non-dits. Cette complexité est celle du monde des adultes et tout au long de sa lecture Federico espérait qu’elle n’affecte pas l’univers de Gwenni. Conte, roman d’apprentissage, chronique familiale, ce roman est un peu tout cela à la fois. Il est surtout un petit trésor de littérature qui est passé assez inaperçu. Courrez chez votre libraire pour réparer cette erreur !
Un intérêt particulier pour les morts
Ce roman vaut surtout pour son contexte – Londres en pleine ère victorienne – et son héroïne – une jeune femme dont le manque de ressources financières est compensé par une grande vivacité d’esprit. Elizabeth Martin débarque à Londres pour y prendre la place de demoiselle de compagnie d’une veuve. Celle qu’elle remplace s’est honteusement enfuie avec un homme (gourgandine !), mais elle n’est pas allée bien loin puisqu’on retrouve bientôt son cadavre sur le chantier de la future gare de Saint Pancras. Sentant bien qu’elle vient d’arriver en terrain miné, Elizabeth décide d’anticiper sur de futurs ennuis en menant sa propre enquête. Inutile de préciser qu’elle va s’en attirer plein de nouveaux, des ennuis. Heureusement, Benjamin Ross, le sympathique commissaire de Scotland Yard chargé de l’enquête officielle garde un œil sur elle. Le lecteur suit parallèlement les investigations d’Elizabeth et Benjamin, narrées de leur point de vue, ce qui est une bonne façon de tenir en haleine car on a toujours une petite longueur d’avance sur les personnages.
L’enquête, menée avec les moyens de l’époque et dans le strict respect des convenances (ce qui limite pas mal la marge de manœuvre), se tient très bien, jusqu’à la résolution finale qui flirte un peu avec la facilité. Mais les personnages sont tellement charmant qu’au final, Federico n’en a pas tenu rigueur à l’auteur. La bourgeoisie hypocrite et coincée en prend pour son grade, plus préoccupée à sauver les apparences que par la résolution du crime. Heureusement, quelques personnages plus nuancés empêchent le récit de tomber dans la caricature. Notre ami lapin a pris beaucoup de plaisir à cette lecture. Un intérêt particulier pour les morts est un roman qu’on a pas envie de lâcher, moins grâce à l’intrigue policière qu’aux intrigues romantiques qui brouillent les pistes en filigrane et apportent un peu de piment à l’histoire.
La dernière fugitive
Federico a décidément un truc avec les héroïnes parties de rien qui bravent les dangers d’une nature sauvage et des hommes à peine moins sauvages. Après La veuve et Sous la terre, voici La dernière fugitive. Le dernier roman de Tracy Chevalier est le premier que notre ami lapin réussit à finir. Jamais vraiment attiré par La jeune fille à la perle il s’était cassé les incisives sur Prodigieuses créatures.
Honor Bright, jeune quakeresse, quitte sa confortable Angleterre et le cocon familial pour suivre sa sœur vers l’Ohio pas complètement civilisé de cette moitié de XIXe siècle. Frappée de plein fouet par un drame à peine arrivée aux États-Unis, elle va apprendre à s’affirmer à contre courant du carcan de sa communauté, tout en respectant les valeurs égalitaristes de cette dernière. Ainsi, dans le pays de la liberté, elle va se mettre en danger pour venir en aide à des esclaves en fuite. Perpétuellement tiraillée entre ses convictions, ses émotions et sa peur d’une loi injuste, Honor (à ne pas confondre avec Hodor, du Trône de fer) va malgré tout prendre son existence en main, ce qui, pour une femme de cette époque était en soi un sacré défi. Cette quête est décrite de telle façon, en s’attachant aux détails et aux impressions de l’héroïne que Federico a été emporté dans son sillage. Honor est de ces personnages qu’il est passionnant de voir évoluer dans l’adversité. L’écriture de Tracy Chevalier est belle, et les ellipses sont très bien amenées grâce aux lettres échangées par les personnages. Un excellent roman dont on sort grandi… et avec une furieuse envie de faire du patchwork (le sport national quaker).
Sous la glace
Federico a adoré ce policier qui s’éloigne radicalement de la tendance actuelle des polars glauques et tourmentés. Sous la glace ne se consacre pas à disséquer les noirceurs de l’âme humaine mais plutôt à en extraire toute la lumière. Cette histoire – deuxième volet des enquêtes d’Armand Gamache après Nature morte – nous emmène dans le village typiquement Québécois de Three Pines pour tenter d’élucider le mystérieux assassinat d’une femme mégalomaniaque détestée de tous. L’ambiance de Noël est extrêmement agréable : Federico avait envie de se blottir dans un plaid bien chaud et de ne jamais cesser sa lecture ! L’enquêteur est un homme charismatique, intuitif et très humain qui s’attache aux détails qui font des gens ce qu’ils sont.
L’enquête au cœur du roman ne nous plonge pas dans un insoutenable suspens mais donne lieu à une trame plus classique, proche du whodunit, axée sur l’observation attentive des personnages et des interrogatoires plein d’empathie, plutôt que sur la crainte liée à la présence du criminel dans les parages. Louise Penny relie ses romans entre eux grâce à une menace qu’elle fait planer sur Armand Gamache depuis Nature Morte et qui, à la fin de Sous la glace semble encore plus présente. Le mystère qui entoure les collègues de l’enquêteur semble encore plus opaque. Pour Federico, qui n’a pas lu le premier opus, l’absence de certains éléments a quelque peu manqué à la compréhension totale de la situation, mais Louise Penny a su construire son roman de façon à ce que le lecteur qui prend la série en cours de route ne soit pas du tout perdu. Ce côté flou renforce au contraire l’aura très particulière qui se dégage d’un livre dans lequel il est beaucoup question de poésie, d’art, de mysticisme et de degrés en dessous de zéro. Intrigant et unique !
Récap’ :
Collin Meloy, Carson Ellis, trad. Jean-Noël Chatain, Les chroniques de Wildwood, Michel Lafon, novembre 2012, 520 p.
Mari Strachan, trad. Aline Azoulay-Pacvon, La terre fredonne en si bémol, 10/18, décembre 2013, 357 p.
Ann Granger, trad. Delphine Rivet, Un intérêt particulier pour les morts, 10/18, juin 2013, 379 p.
Tracy Chevalier, trad. Anouk Neuhoff, La dernière fugitive, Quai Voltaire, octobre 2013, 373 p.
Louise Penny, trad. Michel Saint-Germain, Sous la glace, Actes Sud, septembre 2013, 455 p. [Collection Babel Noir]